Des détenus de Tchernokozovo confirment les exactions russes

 

Par Nick Wadhams

NAOURSK, Russie (AP) -- Des prisonniers tchétchènes du camp de ``filtration'' russe de Tchernokozovo ont raconté être bien traités aux journalistes invités à visiter les lieux, démentant les allégations de torture. Mais profitant de l'inattention de leurs geôliers, ils ont confirmé à voix basse les exactions dont ils sont victimes.

Le camp a entrouvert mardi ses portes à la presse. Lors de la visite, une dizaine d'hommes entassés dans une minuscule cellule mal éclairée ont répété, comme s'ils récitaient une leçon, qu'ils étaient bien traités et n'étaient pas battus.

Toutefois, à la faveur d'un flottement dans la vigilance des gardiens, certains ont murmuré que les informations faisant état d'exactions à leur encontre étaient vraies. ``Il est connu qu'ils battent les prisionniers'', a dit l'un d'eux. ``Si je vous dis quoi que ce soit, ce sera très grave pour nous.'' Puis il a ajouté à voix haute: ``tout est normal dans le camp, ils ne battent personne...''

Les organisations de défense des droits de l'homme dénoncent des tortures systématiques, passages à tabac, viols et meurtres dans le camp, où les Russes ``font le tri'' entre les rebelles et les civils.

Le journaliste russe Andreï Babitski, de retour à Moscou après avoir été détenu à Tchernokozovo, a assimilé le centre de détention aux camps staliniens et nazis, évoquant des atrocités. Le correspondant de Radio Svoboda (Liberté), qui avait irrité Moscou en couvrant la guerre du côté tchétchène, raconte avoir été matraqué et a qualifié les gardes de ``sadiques''. Mais il a ajouté que ce qu'il avait subi n'était rien comparé aux traitements infligés aux Tchétchènes.

Sur place, un prisonnier en sanglots tentait de se cacher derrière ses codétenus lors de la visite des journalistes, escortés par les soldats russes. ``Il essaye juste de vous émouvoir'', a affirmé le lieutenant-colonel russe Nikolaï Varavine.

Les responsables du camp continuaient mardi à démentir les accusations d'atrocités. Le général Mikhaïl Nazarkine, en charge de la sécurité du camp, a même affirmé que les médecins vérifiaient l'état des prisonniers tous les jours et qu'il n'y avait pas de plainte de passage à tabac.

Lorsque l'autocar chargé de journalistes a quitté le camp après deux heures de visite, des femmes à l'extérieur ont entouré le véhicule et tapé aux fenêtres. Elles ont passé des notes sur l'histoire de leurs parents masculins internés qui, disent-elles, ont disparu.

``Les Russes prennent tout homme blessé, le considérant comme rebelle'', a crié Patimout Ousmanava, sans nouvelle de son fils de 15 ans depuis qu'il a été arrêté. Des soldats russes sont intervenus pour disperser les femmes.

De nombreux détenus, libérés après avoir subi des mauvais traitements, ne veulent pas déposer plainte. ``Je leur dis de faire une description écrite, de l'envoyer à un expert médical et de porter plainte, mais ils refusent'', souligne Abouïzet Sangerïev, procureur du gouvernement tchétchène provisoire. ``Ils ont peur de ce qui pourrait leur arriver.''